Publié le 19 mars 2021 par Bruno Trévidic
Avec la crise du Covid, le monde a expérimenté à grande échelle les effets de la décroissance du transport aérien sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique. Le bilan est plus que décevant. Non seulement la baisse du trafic n’a eu aucun effet durable, mais elle a mis en péril la capacité du secteur à investir dans sa transition énergétique.
« La solution : moins d’avions », affirmait récemment un slogan brandi par un militant d’une organisation écologiste, perché sur un Boeing 777 d’Air France à Roissy. Le slogan a le mérite de la simplicité, tout comme l’idée selon laquelle une décroissance imposée du transport aérien serait le meilleur moyen de réduire son impact sur l’environnement. Mais le simplisme résiste souvent très mal à l’épreuve des faits. En prenant pour cible un avion d’Air France cloué au sol par la crise, ces militants écologistes se trompent non seulement de combat, mais aussi d’adversaire. Avec le risque d’empêcher le transport aérien de réussir sa transition énergétique. Et ce pour au moins deux raisons.
Générosité des contribuables
La première raison est que la décroissance, ça ne marche pas. La pandémie de Covid vient d’en offrir un test grandeur nature : les effets d’une décroissance imposée sur les émissions de gaz à effets de serre sont pour le moins décevants. Avec un trafic aérien en chute de 60 % , les émissions de CO2 du transport aérien ont certes diminué de 55 % en Europe selon Eurocontrol, et même de 75 % dans le monde selon l’association « Global carbon projet ». Mais cette baisse sans précédent n’a eu aucun impact durable sur les niveaux de concentration de CO2 dans l’atmosphère et sur le réchauffement climatique. D’après les relevés de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le niveau moyen de dioxyde de carbone mesuré en février était même légèrement supérieur à celui de février 2020.
L’occasion de vérifier que le transport aérien ne représente que 2,8 % à 3 % des émissions mondiales de CO2. Malgré ce choc sans précédent pour l’économie mondiale, les émissions mondiales de CO2, tous secteurs confondus, n’ont en effet baissé que de 4 % à 7,5 % en 2020. Ce qui reste largement insuffisant pour produire un quelconque effet sur le climat. Selon les experts, il faudrait en effet réduire les émissions de CO2 de 7,6 % chaque année d’ici à 2030 pour avoir une chance d’atteindre l’objectif de l’accord de Paris.
Une perspective difficile à envisager pour les compagnies aériennes, dont la plupart ne doivent leur survie qu’à la générosité des contribuables. Mais aussi pour le milliard de personnes qui n’ont pas pu voyager à l’international en 2020, selon une estimation de l’Organisation mondiale du tourisme . Or si l’avion peut éventuellement être remplacé par le train dans certaines parties du monde, il reste l’unique moyen de transport possible – avec le bateau certes – quand il s’agit de voyager d’un continent à l’autre. Ainsi, le Boeing 777-200 d’Air France, sur lequel avaient cru bon de grimper les militants écologistes, était couramment utilisé pour desservir les départements d’outre mer. Des liaisons aériennes non « substituables » empruntées par près de 5 millions de passagers avant la crise.
Solutions technologiques
Face à cette réalité, la décision française d’interdire l’avion sur les trois liaisons desservies en moins de 2 h 20 par le train apparaît encore plus dérisoire. La totalité des lignes intérieures françaises, empruntées par 26,8 millions de passagers, ne représentent que 1,1 % des émissions de CO2 de la France, qui ne représente elle-même que 1,34 % des émissions mondiales. A titre de comparaison, la centrale à charbon allemande de Neurath, la plus importante des 48 centrales à charbon d’Allemagne utilisées pour compenser le désengagement du nucléaire, émet plus de CO2 que la totalité du transport aérien en France. Quant à la baisse de 55 % des émissions de CO2 du transport aérien en France en 2020, elle représente une économie de CO2 comparable à celle générée par les trois jours de télétravail par semaine effectué par 40 % des salariés français, durant les confinements, sachant que 74 % des Français se rendent habituellement au travail en voiture.
En réalité, ce qui peut réellement changer la donne pour le climat est notre capacité à investir dans des solutions technologiques susceptibles de réduire significativement et durablement les émissions de gaz à effet de serre.
Dans le cas du transport aérien, ces investissements sont de quatre ordres : le financement de mesures de compensation des émissions, l’optimisation des vols, l’achat d’avions de moins en moins polluants et l’intégration progressive de nouveaux carburants, issus du recyclage ou de procédés de synthèse, permettant de réduire jusqu’à 80 % des émissions. En combinant ces quatre leviers, le transport aérien espère diviser par deux ses émissions de CO2 d’ici à 2050 et mettre en service dans la prochaine décennie, les premiers appareils quasi décarbonés.
Modernisation des flottes
Mais les sommes à investir sont considérables. Rien que pour lancer un nouvel avion moyen-courrier capable de relever le défi, Airbus et ses partenaires devront investir, au bas mot, une quinzaine de milliards d’euros. Et il faudra au moins trois nouveaux modèles pour couvrir la totalité des besoins du transport aérien, de vol régional au long-courrier, d’ici à 2050. Quant aux compagnies aériennes, elles devront débourser au moins 5.000 milliards de dollars pour acquérir quelque 39.000 nouveaux avions moins polluants d’ici à 2050.
Que se passera-t-il si la croissance et la rentabilité ne reviennent pas rapidement ? Là encore, la crise de 2020 fournit la réponse. Malgré le soutien massif des Etats, les livraisons et les commandes d’avions neufs se sont effondrées, donnant ainsi un coup d’arrêt brutal à la modernisation des flottes. Avec près de 120 milliards de dollars de pertes cumulées en 2020 et un endettement multiplié par deux, les compagnies aériennes ont durablement perdu leur capacité d’investir. Et ce ne sont pas les taxes vertes et les restrictions d’activité qui les aideront à redresser la tête.
Au final, moins d’avions, c’est moins de passagers et donc moins d’argent pour la recherche et les nouvelles technologies, sans lesquelles il ne sera pas possible d’infléchir durablement la courbe des émissions de CO2 et des températures. Pour réussir sa transition énergétique et préserver la liberté de voyager, le transport aérien a donc besoin de clients. Avant l’aérien, bien d’autres sources de pollution, comme la voiture, le chauffage, la consommation de viande et même l’usage d’Internet, seraient en mesure de générer des économies de CO2 bien plus importantes, sans réduire nos libertés.