Publié le 18 novembre 2020 – par

L’ouverture de leur capital permet aux établissements de financer leur développement. Au risque d’objectifs divergents.

Chaque secteur a ses feuilletons. Depuis un peu plus d’un an, le petit monde des écoles de commerce se passionne pour les aventures de l’EM Lyon, vénérable institution transformée en société anonyme, puis marquée par l’entrée à son capital du fonds Qualium et de Bpifrance, il y a un an. Des fonds d’investissement avaient déjà mis la main sur des écoles de commerce privées, mais c’est la première fois que la « mariée » est un établissement du « top 5 ». Si la situation a suscité tant d’émotion, c’est aussi qu’elle pose plus largement la question de l’avenir financier de ces écoles et la possibilité pour certaines d’entre elles de suivre la même trajectoire.

La diminution de la taxe d’apprentissage et l’assèchement des aides versées par les chambres de commerce pèsent lourdement sur les finances des business schools. La chute des recettes de la formation continue et des droits de scolarité des étudiants étrangers liée à la crise sanitaire n’a rien arrangé… Pourtant, les écoles estiment qu’elles ont plus que jamais besoin d’investir pour recruter des enseignants-chercheurs, construire des campus à l’étranger ou disposer de systèmes d’information performants.

Le directeur général de Grenoble Ecole de management, Loïck Roche, a calculé qu’en moyenne une école devra trouver 50 millions d’euros sur cinq ans, rien que pour poursuivre sa digitalisation, devenue cruciale. « Face à l’obsolescence des anciens modèles économiques, toutes cherchent désormais à s’ouvrir à des investisseurs privés, et notamment des fonds. »

Engouement récent

Après l’avoir longtemps ignoré, les fonds manifestent depuis six ou sept ans un véritable engouement pour l’enseignement supérieur privé français. Le secteur, qui a démontré sa résilience à l’occasion de la crise sanitaire, a tout pour plaire : un nombre d’étudiants en hausse, des revenus prévisibles et réguliers sous forme de frais de scolarité, et une image d’intérêt général qui redore leur blason.

Ces dernières années, les prix des transactions, qui ont surtout eu lieu dans le secteur 100 % privé, se sont envolés. Le britannique Cinven aurait racheté pour 800 millions d’euros, en mars 2019, le groupe Inseec U, qui compte 16 écoles. Une valorisation surestimée à en croire les spécialistes. « Les acheteurs ont été un peu déçus par les chiffres qu’ils ont trouvés, et au lieu de partir sur un gros développement, ils vont d’abord commencer par restructurer », confie une source proche du dossier.

Qu’en sera-t-il des écoles consulaires (dépendant des chambres de commerce et d’industrie) ? Les écoles les plus prestigieuses, qui jouissent d’une marque puissante, constituent des cibles de choix. Mais les contraintes importantes en matière d’accréditation et la multiplicité des produits dont dépend une grosse partie de la marge rendent leur pilotage compliqué. « Les écoles de milieu de tableau cumulent les contraintes des meilleures, mais sans une marque assez forte, analyse Pierre Pariente, ancien président des écoles du groupe Laureate. Pour les fonds, il est plus simple de viser les écoles de bas de tableau qui nécessitent un marketing fort mais qui ont moins de contraintes. »

Aider intelligemment

Soucieux de ne pas injurier l’avenir, un certain nombre de directeurs d’école ont mis de l’eau dans leur vin sur le sujet, mais la prudence demeure. « Les fonds pourront aider certaines écoles fragilisées par la crise à survivre, à condition que cela soit fait intelligemment », estime la directrice de Skema BS, Alice Guilhon.

Comme la plupart de ses collègues, la présidente du Chapitre des écoles de management n’a pas envie « d’être dirigée par des financiers qui ne connaissent pas le métier ». La logique d’un fonds, qui investit pour une durée limitée – quatre à sept ans – dans une société dont il va accompagner la croissance avec en ligne de mire une plus-value substantielle à la sortie, heurte la culture du milieu. Et le temps long que nécessite l’éducation. Jacques Chaniol, qui a dirigé l’Inseec Business School de 2014 à 2016, se souvient avec amusement « de cet associé qui ne comprenait pas que l’on ne puisse pas redresser une école en un an, alors que le cycle de production et de développement d’un master, c’est au moins cinq ans ».

Même si le fonds entre avec la promesse de respecter l’excellence académique, les écoles craignent qu’il opte au moment du rachat pour une stratégie de réduction des coûts et de croissance par le volume, au détriment de la qualité des formations et de la recherche, essentielle pour conserver son rang et ses labels (accréditations, grade de master…). Les financiers le savent. « L’éducation est un secteur où l’on développe le chiffre d’affaires, pas où l’on coupe les coûts », note Martine Depas, conseil en fusions-acquisitions au sein de la Financière de Courcelles.

« EM Lyon n’est pas une cash machine et n’a pas vocation à le devenir. Ce sont la valeur académique de l’école, le maintien de ses accréditations et de son rang dans les classements nationaux et internationaux qui vont lui donner sa valeur immatérielle et financière », affirme Isabelle Huault, la nouvelle directrice d’EM Lyon, ancienne présidente de Paris-Dauphine. Qualium assure vouloir donner à l’école les moyens de ses ambitions : il vise une croissance fondée notamment sur la création de nouvelles formations à destination d’un public international, et via d’éventuelles acquisitions d’écoles.

En gage de bonne foi, ne s’est-il pas engagé à rester au moins cinq ans, et à renoncer à ses dividendes ? « Un compromis inhabituel », affirme son président, Jean Eichenlaub. « Les millions investis par les fonds permettent aux écoles de se développer, si elles ont une stratégie définie et adaptée, ce qui n’est pas toujours le cas. A terme, le manque de moyens pourrait devenir pénalisant pour celles qui n’en bénéficient pas », estime Pierre Pariente.

D’autres types d’investisseurs

Au-delà des fonds cycliques, les écoles de commerce aimeraient attirer des investisseurs de plus long terme : fonds familiaux (family offices) et autres industriels classiques. Une partie d’entre elles, Grenoble en tête, mise sur le statut d’établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC), créé en 2014, pour faire entrer de tels acteurs dans leur capital. La chambre de commerce de Paris-Ile-de-France, tutelle de HEC ou de l’ESCP, planche sur un projet de holding qui permettra à des parties prenantes de prendre des participations dans ses formations.

Mais la formule de l’EESC qui interdit à un actionnaire de détenir plus de 33 % des parts et de toucher des dividendes refroidit les investisseurs. Bpifrance, qui se positionne comme un investisseur privilégié, a investi dans sept écoles ou groupes d’écoles privés. Parmi eux, Galileo Global Education, l’un des leaders européens, détenu aussi par un consortium d’investisseurs institutionnels, incluant le Canada Pension Plan Investment Board et Téthys, le fonds de la famille Bettencourt. Galileo est souvent cité comme un exemple « réussi » de collaboration entre des écoles et des fonds. Il ne cache pas d’ailleurs son intérêt pour les écoles de commerce.